Les rues de Montrouge : un danger quotidien pour les déficients visuels

Créée en 2017, l’association Défi Access a lancé en septembre une pétition en ligne pour réclamer une meilleure accessibilité de Montrouge aux déficients visuels. L’objectif : rendre moins dangereux le quotidien des Montrougiens aveugles et malvoyants.

Julien Nguyen Dang
6 min readNov 14, 2020
Didier Biansomba, président de l’association, arpente la piste cyclable des allées Jean-Jaurès. (JULIEN NGUYEN DANG)
Didier Biansomba, président de l’association Défi Access, arpente la piste cyclable des allées Jean-Jaurès en l’absence d’obstacle physique avec la voie piétonne. (JULIEN NGUYEN DANG)

“Bip. Bip.” Posté devant le passage piéton menant à l’hôtel de ville de Montrouge, Didier Biansomba appuie avec acharnement sur l’unique bouton bleu de la minuscule télécommande suspendue à son porte-clefs. Mais si l’appareil bipe bien, rien n’y fait. “C’est génial, sourit-il nerveusement, même devant la mairie, le feu sonore ne fonctionne pas. C’est incroyable.” Le son des véhicules se fait moindre alors le Montrougien de 23 ans déplie sa canne blanche : il est temps de traverser. Les riverains se retournent d’angoisse à mesure que Didier s’avance en déviant périlleusement vers la gauche. Mais lui ne le ressent pas, concentré qu’il est à analyser l’environnement qui l’entoure. Rendu aveugle vers l’âge de trois ans par une tumeur maligne de la rétine, le moindre trajet du quotidien est pour lui synonyme de mise en danger. Et face à l’absence d’aménagements réalisés par la municipalité, l’association de Didier Biansomba, Défi Access, a lancé une pétition en ligne, espérant faire bouger les lignes.

Didier Biansomba tente en vain de faire fonctionner le feu sonore du passage piéton menant à l’hôtel de ville de Montrouge.
Didier Biansomba tente en vain de faire fonctionner le feu sonore du passage piéton menant à l’hôtel de ville de Montrouge. (JULIEN NGUYEN DANG)

Une accessibilité pourtant demandée par une loi vieille de quinze ans

“Il aurait [suffi] qu’une promesse soit tenue pour que la vie des déficients visuels de Montrouge change. Cela n’a pas été le cas”, accuse la pétition de Défi Access lancée en septembre dernier. Fondée en 2017 par Didier Biansomba qui, à peine installé dans la commune, a voulu concrétiser son envie de s’engager, l’association qui compte aujourd’hui quatre personnes actives ne se fait pas tendre avec la municipalité.

Et pour cause. En avril 2018, déjà, le groupe d’amis composé de deux voyants avait mis à l’épreuve l’environnement urbain, dont l’“accessibilité aux personnes handicapées” est pourtant censée être organisée par chaque mairie depuis la loi du 11 février 2005, qu’il s’agisse de la voirie ou des espaces publics. “Une loi vague qui ne dit pas exactement quels aménagements doivent être mis en place”, regrette Didier Biansomba.

Didier Biansomba se tient sur une bande d’éveil installée devant un passage piéton des allées Jean-Jaurès.
Didier Biansomba se tient sur une bande d’éveil installée devant un passage piéton des allées Jean-Jaurès menant au Campus Evergreen du Crédit agricole. (JULIEN NGUYEN DANG)

L’association recensait alors dans un rapport en 2018 les installations d’accessibilité à l’intersection des grands axes. Des lieux de danger particulièrement importants pour les riverains aveugles et malvoyants. Et le résultat était flagrant. Seuls 13,3% des feux étaient sonorisés. De plus, des bandes d’éveil, ces petites bosses de béton placées à intervalle régulier comme au bord des quais de gare, étaient bien présentes pour prévenir 80% des passages piétons mais avec des niveaux de vétusté relatifs. Et pour traverser en sécurité, ces seuls équipements ne sont pas suffisants. “Quand on a fait le test [en 2018], on a dit aux voyants d’intervenir seulement au dernier moment lorsque les déficients visuels traversaient. Et dans 87% des cas, tous ont couru pour nous empêcher de dévier et de nous mettre en danger de mort”, se rappelle Didier, président de l’association.

Mais dans la vie de tous les jours, tous les riverains ne s’arrêtent pas pour proposer leur aide aux déficients visuels. Si bien que la trésorière de l’association Tressy Hélène, non voyante depuis l’âge de cinq ans et revendiquant son “droit à l’autonomie”, évite les grands croisements de la commune, et notamment les huit voies accidentogènes de “l’avenue Aristide-Briand”. Mais entre les obstacles posés ça et là par “les nombreux travaux” et “le port du masque” qui modifie sa perception “des masses”, difficile pour la déficiente visuelle “d’aller tout droit”. Une solution soutenue par Défi Access : la pose de bandes de guidage, des lignes en relief permettant à une personne de marcher droit, canne blanche en main. Un équipement totalement absent de Montrouge en 2018, et encore jamais mis en place dans la commune.

Des bandes de guidage rectilignes entourent sept carreaux de bandes d’éveil dans la banlieue de Shenzhen en Chine.
Des bandes de guidage rectilignes entourent sept carreaux de bandes d’éveil dans la banlieue de Shenzhen en Chine en novembre 2019. (WIKIMEDIA COMMONS)

Un axe piéton flambant neuf mais sans aménagement à destination des déficients visuels

A l’époque, pour enclencher une mise en accessibilité de la commune, l’association s’était intéressée au projet des allées Jean-Jaurès, cet axe piéton d’un kilomètre imaginé en 2018 par l’agence Pena Paysages entre la place Jean-Jaurès et celle de la Libération. Antoine Bouchez, alors maire-adjoint en charge des affaires sociales, se souvient avoir été sollicité par l’association qui venait de lui remettre son rapport. “Défi Access proposait au maire [Etienne Lengereau] que les allées Jean-Jaurès soient adaptées aux déficients visuels en installant des bandes de guidage. J’ai trouvé la proposition intéressante”, se souvient celui qui siège désormais dans le groupe d’opposition “Demain Montrouge” derrière Juliette Méadel, ancienne secrétaire d’État sous la présidence de François Hollande.

Des concertations avaient eu lieu et les bandes de guidage souhaitées devaient être aménagées. “Mais finalement, le projet n’a pas du tout été retenu et intégré dans les dépenses.” Et aujourd’hui, lorsque Didier et sa compagne Tressy se promènent sur les allées, difficile de ne pas dévier sur la voie des vélos délimitée par aucun obstacle physique. “On a quand même 20 km de pistes cyclables pour 0 km de bandes de guidage en 2020 à Montrouge”, se désole l’ex-maire adjoint Antoine Bouchez. “Il en coûterait entre 30 000 et 40 000 euros pour rendre les allés Jean-Jaurès accessibles. Ce n’est rien du tout”, ajoute l’élu. Le coût total des allées Jean-Jaurès avait en effet était estimé à un montant bien plus élevé de 10,7 millions d’euros en 2019, relate le Montrouge Mag. Contactée, l’agence Pena Paysages à l’origine du projet n’a pas souhaité s’exprimer.

Carte du projet des allées Jean-Jaurès avec, en rouge, les aménagements prévus des bandes de guidage.
Carte du projet des allées Jean-Jaurès avec, en rouge, les aménagements proposés des bandes de guidage, après des concertations entre Défi Access, la mairie de Montrouge et l’agence Pena Paysages (DÉFI ACCESS)

En proie à un certain “ras-le-bol” et inquiet de ne voir aucune évolution s’engager, Défi Access a souhaité “faire réagir le maire” réélu en juin dernier en lançant cette pétition sur Internet lors de la rentrée des associations, raconte Tressy Hélène. “Mais on n’est pas satisfaits du nombre de signatures, on peut faire plus”, admet la trésorière de l’organisation, alors que seules 141 personnes ont soutenu le texte relayé sur Facebook. Ceci alors que 1300 à 1500 déficients visuels résideraient dans la commune, calculent les militants en prenant appui sur l’estimation nationale de 1,7 millions de personnes faite par la Fédération des aveugles de France.

Mais quel que soit le nombre de signataires, la pétition a au moins engagé un mouvement : après plusieurs reports, l’association a pu finalement rencontrer Charlotte Baelde, cinquième maire-adjointe aux personnes handicapées de Montrouge. “Pendant une à deux heures, nous avons parcouru les allées Jean-Jaurès, quelques axes adjacents et nous avons même poussé jusqu’à [l’avenue Aristide-Briand] pour montrer la nécessité des aménagements”, explicite Louis Fréget, membre voyant de l’association et ami d’enfance de Didier présent avec lui lors du rendez-vous. “On attend maintenant que cela soit suivi d’effets”, ajoute l’étudiant en économie de 23 ans, précisant que des discussions devraient bientôt être entamées avec la voirie. Ni la municipalité ni Charlotte Baelde n’ont donné suite à nos demandes d’interview.

Mais Didier Biansomba le reconnaît : il n’a “pas les moyens de faire une étude comparative” pour juger de la place de Montrouge par rapport aux autres communes voisines sur l’échelle de l’accessibilité. “L’absence de feux sonores ou de bandes de guidage, ce sont des constats que l’on retrouve dans beaucoup de villes”, regrette celui qui, un jour, avait frôlé l’accident en se retrouvant malgré lui “au milieu d’un carrefour d’Issy-les-Moulineaux”, son ancienne commune de résidence également dans les Hauts-de-Seine. Pour Louis Fréget, qui réalise aussi des vidéos de sensibilisation pour l’association, il est “plus facile d’agir localement, de commencer par là où l’on est. L’idée c’est de faire de Montrouge une ville vitrine puis de changer les choses dans d’autres communes.”

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Julien Nguyen Dang
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Written by Julien Nguyen Dang

Entre l’École de journalisme de Sciences Po et la rédaction web de franceinfo #vraioufake

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